Par les vitres fines de l'Opéra de  Londres résonne une voix cristalline... De quelle personne sort elle ? De la jeune brune à la divine teinture blonde que vous voyez sur la scène, à coté du ténor roux. Dans sa robe sintillante inspirée des automates ; faite de cuivre, d'or et de fer à peine rouillé pour donner un effet naturel, la cantatrice se tient. Sa voix de mezzo soprano emplit la salle comble, faisant monter à de nombreuses personnes les larmes aux yeux. Autour d'elle, les danseurs s'animent pendant qu'elle écarte ses bras, laissant alors sortir l'Ultime note, l'apothéose de ce chant ; elle tint cette note Ultime quatorze temps avant de la couper, laissant place à l'orchestre. Ce dernier conclut la mélodie, les spectateurs applaudirent, se levèrent et jetèrent des fleurs à Lucht... Oh ! Quel doux instant pour une duyung. Ses yeux couleur d'aube versèrent une unique larme, due à la brulure de qu'avait infligé à la cantatrice son ultime éclat de voix.

 Le rideau se baissa, les bougies furent soufflées pour laisser place à la lumière électrique, les chanteurs et les danseurs retournèrent à leurs loges, Lucht également. Elle monta, une fois sortie des coulisses, deux escaliers, pris un couloir sur sa gauche (couloir décoré d'une invraisemblable collection de tableaux) et entra finalement dans sa loge. Elle s'assit sur son divan couleur crème, et se regarda dans un miroir ; sa beauté la submerga et la remplit d'allégresse. Elle possédait des splendides mains, une peau d'une couleur aussi sombre que douce, des lèvres rouges et fines,  un nez en trompette et de jolies fossettes sur un visage encore juvénile ; à tel point qu'on puisse imaginer qu'il eut découvert la source de jouvence. Mais surtout ses yeux si singuliers dans leur splendeur, quasiment hypnotisante. Tout cela réuni trahissait son sang de Duyung, créature sublime. Bien qu'elle soit de ladite espèce, elle ne revétait sa peau qu'assez rarement, la laissant chez elle à Batavia, dans sa logement du centre de la ville. Finalement, son unique complexe était sa taille, petite au demeurant. Elle leva alors, passa derrière un paravent où elle se changea : elle ota sans aide la lourde robe de cuir et de cuivre, la posa sur un mannequin à sa droite et revétit ses propres habits, soit une robe de soie blanche à manches longues et une paire de chaussures de cuir en provenance du Nouveau-Monde.

 Une fois cette tache accomplie, elle mangea un bout de caramel, offert par Leodore Ottalius, son professeur de chant qui répétait souvent que cela donnait une jolie voix, s'assit à nouveau dans le divan et s'y assoupit peu après. Quand Leodore vint la chercher pour l'escorter chez elle, il ne put résister à la contempler, dans sa beauté froide et juvénile... Dire qu'elle avait vingt-deux années passées en ce monde ; elle en faisait aisément quatorze, mais elle n'en demeurait pas moins splendide. Il pris alors dans ses bras la svelte cantatrice endormie et l'escorta . Elle se réveilla le lendemain matin à son domicile Londonien, sur son lit avec près d'elle un caramel dans un joli papier d'or.